Chronique de Bernard Le Doze
Les délibérations du 14ème Prix littéraire des collégiens se sont tenues à Québec, dans les salons de l’hôtel Manoir Victoria, le jeudi 6 avril, mais ce n’est que le lendemain, dans le cadre du Salon international du livre de Québec, qu’a été publiquement proclamé le nom du lauréat 2017 : les suffrages des porte-parole des collégiens se sont portés sur Christian Guay-Poliquin pour son roman Le Poids de la neige.
Parenté avec le prix Goncourt des lycéens et singularités
Un peu d’histoire !
Après avoir, à diverses reprises, sollicité et obtenu la participation de lycées français situés dans l’espace européen (Belgique, Roumanie, Espagne notamment), le Prix Goncourt des lycéens a fait, en 1998, le nouveau pari de s’associer celle d’un établissement de la zone francophone nord-américaine. Redoutable gageure au regard des obstacles à surmonter, au premier rang desquels l’éloignement géographique, l’acheminement des livres dans des délais acceptables et le repérage d’interlocuteurs et d’acteurs outre-Atlantique. Une fois encore, les réseaux et la bonne volonté ont fait merveille : en 2000, année symbolique s’il en est, Bruno Lemieux, professeur au Cégep de Sherbrooke (Québec-Canada), au terme d’une année d’imprégnation et d’observation, a engagé l’une de ses classes dans l’opération.

Ce fut une réussite complète. Cette année-là, le 13ème Prix Goncourt des lycéens fut attribué à Ahmadou Kourouma pour son roman Allah n’est pas obligé.
Conquis par cette expérience d’incitation à la lecture par la fréquentation de la littérature contemporaine, Bruno Lemieux décide alors de mettre sur pied un programme de lecture comparable. Dès l’année scolaire 2001-2002, il mène un projet pilote avec deux groupes d’élèves et définit le format de ce qui deviendra le Prix littéraire des collègiens. En 2004, avec le soutien de la Fondation Marc Bourgie et l’engagement de sa directrice, Claude Bourgie Bovet, le Prix littéraire des collégiens se déployait jusqu’à devenir le rendez-vous incontournable qu’il est aujourd’hui.
Quatorze ans plus tard, en 2017…
Il faut se réjouir des relations de cousinage qu’entretiennent à présent les deux opérations puisque chaque année un cégep participe au Goncourt des lycéens et que, parallèlement, un lycée de France est associé au Prix littéraire des collégiens, mais le motif profond de réjouissance réside dans le fait que le dispositif québécois, au fil des éditions, a fait ses preuves : en 14 années, il est devenu durable, il a su créer la confiance qui assure les partenariats et le financement, il a su conquérir un espace distinct dans le paysage de la vie littéraire du Québec, il propose chaque année une sélection de romans choisis par un collectif indépendant, il étend son action sur l’ensemble du territoire québécois et, enfin, il s’est doté de procédures de délibérations sophistiquées permettant à un grand nombre de délégués (57 en 2017), d’argumenter sur le fond et la forme des œuvres en lice et de confronter leurs jugements.
Le prix littéraire des collégiens aujourd’hui
> Les participants
Le Québec dispose de 48 cégeps* publics, lesquels sont complétés par une dizaine d’instituts du même ordre, et d’une dizaine de cégep privés. En associant cette année 56 cégeps, auxquels s’est ajouté le lycée Marcel Gimond d’Aubenas, le Prix littéraire des collégiens a une couverture territoriale presque totale dans une province presque 3 fois plus grande que la France.
* Cégep
(Collège d’Enseignement Général Et Professionnel) :
Au Québec, l’enseignement collégial prolonge le cycle d’enseignement secondaire et précède l’entrée à l’université, ou mène au marché du travail. Il équivaut grosso modo aux niveaux de première et de terminale en France.
> Les romans de la sélection 2017
. Les maisons, de Fanny Britt (Ed. Le Cheval d’août)
. Le Poids de la neige, de Christian Guay-Poliquin (Ed. La Peuplade)
. Mektoub, de Serge Lamothe (Ed. Alto)
. Des femmes savantes, de Chloé Savoie-Bernard (Ed.Triptyque)
. Le Continent de plastique, de David Turgeon (Ed. Le Quartenier)
Cette liste de romans, sélectionnés par un collectif indépendant composé de critiques littéraires et de spécialistes de la littérature québécoise, est beaucoup plus resserrée que celle proposée aux lycéens du Goncourt (de 12 à 15 titres), mais elle permet, en revanche, à davantage d’élèves de parvenir à une lecture intégrale de la sélection.
> Calendrier
. Novembre : annonce des livres retenus et lancement de l’opération.
. Janvier : début des activités de lecture dans les établissements participants.
. Février/Mars : rencontres causeries avec les auteurs.
. Avril : délibérations nationales et proclamation du lauréat.

©Louise Leblanc
Les délibérations : comment ça marche ?
Au terme de la phase de lecture et de discussions, chaque classe de cégep élit un(e) délégué(e) qui, accompagné(e) de son enseignant(e), se rend à Québec où il/elle est invité(e) à délibérer dans les salons de l’hôtel Manoir Victoria.
C’est Bruno Lemieux, créateur du prix, qui est l’animateur de ce moment final ; il est aidé par deux collègues expérimentés et bénévoles (comme tous les intervenants qui animent ce projet de lecture critique qu’est le Prix littéraire des collégiens), qui vont et viennent dans le salon des délibérations pour faire face à la parole profuse des délégués.
Les objectifs sont les suivants :
> gérer avec équité la participation orale de 57 délégués ;
> permettre à tous de s’exprimer en évitant les redites ; à cet effet, de subtils jeux d’alliances entre délégués peuvent s’instaurer, certains pouvant renoncer à leur temps de parole au profit d’un autre délégué dans les propos argumentés duquel on reconnaît son opinion personnelle ;
> pour chacune des œuvres en lice, tendre vers l’exhaustivité, ne rien omettre de ce que la lecture a fait naître.

Ces délibérations sont un moment d’une richesse inouïe. Tout délégué qui prend la parole se lève pour s’exprimer. Cette posture quasi magistrale s’impose à l’écoute des autres. Tous les délégués, ou presque, se conforment à cette façon de procéder, certains, « suradaptés » à la situation, adoptant une gestuelle qui vient renforcer la capacité à convaincre. La parole d’autrui est toujours écoutée respectueusement et silencieusement, la seule modalité d’expression admise consistant à lever les bras en agitant les mains pour exprimer une enthousiaste concordance d’avis. Partant, point de discussions périphériques, point de brouhaha, point de perte de temps, l’accueil respectueux de la parole d’autrui reste décidément de règle à tout moment de cette procédure délibératoire.
Lorsque les échanges semblent avoir permis à chacun de se faire une opinion sur chacune des œuvres, il est enfin procédé à un vote qui permet d’élire le lauréat. Survient alors le moment de désignation des délégués chargés de porter la parole de l’assemblée lors de la proclamation publique du lendemain. Les candidats se font connaître, puis, en une ultime prise de parole, expriment leur motivation et font montre de leur capacité à assurer ce rôle de représentation. Vers 22 heures, ce sont Dardia Joseph et Fabien Roy qui sont mandatés pour annoncer publiquement, le lendemain, le choix du Prix littéraire des collégiens 2017.

©Louise Leblanc
La proclamation du prix : Tous en scène !

La proclamation du prix a eu lieu le vendredi 7 avril, dans le cadre du Salon international du livre de Québec
> À 13 heures, sur le plateau des « Rendez-vous littéraires », devant une foule curieuse et admirative, une professionnelle des médias anime ce moment d’annonce publique qui va être à la fois le moment phare en communication, et le clap de fin de l’opération 2017. Tous les délégués, appelés par leur nom et associés à celui de leur cégep, se retrouvent joyeusement sur scène pour écouter 5 d’entre eux présenter en quelques phrases chacun des ouvrages de la sélection de l’année, en présence des auteurs. L’ambiance est créée, la tension monte, l’impatience est perceptible, plus rien d’autre ne compte dans ce périmètre, le Salon international du livre de Québec de l’autre côté de l’allée vit sa vie, les collégiens vivent intensément la leur, eux c’est eux, nous c’est nous !
> À 13h30, il est enfin procédé à l’annonce publique du Prix littéraire des collégiens. Les deux jeunes délégués, conscients de leur chance d’être là, rayonnants et au sommet d’eux-mêmes, sachant aussi que dans les secondes qui suivront le communiqué une page de leur éducation scolaire se tournera, Dardia Joseph et Fabien Roy, en un habile et beau relais de paroles proclament que Christian Guay-Poliquin est le lauréat du 14ème Prix littéraire des collégiens pour son roman Le Poids de la neige.
> Applaudissements nourris, le tout jeune écrivain originaire de Saint-Armand, 35 ans, 2 romans, monte lestement sur scène pour se fondre et se confondre avec le public de jeunes lecteurs qui l’a consacré, un public auquel il ressemble tant qu’il devient l’un d’eux, la pétillante jeunesse effaçant les différences d’âge.
> À l’exception de Serge Lamothe, retenu en France, Fanny Britt, Chloé Savoie-Bernard et David Turgeon montent à leur tour sur le plateau débordant, le mitraillage photo peut commencer…
Chronique de Bernard Ledoze



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