Chronique de Joël Lesueur
Évoquons un oublié de la rentrée littéraire de septembre 2016 : Sylvain Prudhomme dont le roman Légende n’a figuré sur aucune des listes des principaux prix littéraires. Une énigme pour moi.
Légende est un grand roman dont l’action se situe, pour partie, à Arles et dans sa région, singulièrement dans le désert de pierres de La Crau. Et ce sont des paysages âpres, brûlés par le soleil qui sont décrits dès les premières pages à travers le regard surplombant de Nel, l’un des deux protagonistes de l’œuvre. Un photographe opérant depuis la nacelle d’un camion qui lui permet d’aller d’un lieu à un autre. Le second, Matt, son ami, un Anglais installé dans la région, installateur de toilettes sèches, mais aussi réalisateur de documentaires à ses moments perdus, s’intéresse à une discothèque aujourd’hui à l’abandon, mais en vogue dans les années 70 et 80. Une discothèque que Matt a fréquentée alors, en compagnie de ses deux cousins et de quelques autres.
Le roman joue donc sur deux époques : d’une part le passé et le destin tragique des deux frères, cousins de Nel, dont on reconstitue progressivement avec Matt l’histoire, et le présent, d’autre part, un présent où Nel et Matt partent à la rencontre des derniers bergers qui continuent de pratiquer la transhumance.
Ces deux niveaux du récit s’entremêlent constamment, s’enrichissent l’un l’autre et donnent à l’ensemble sa richesse, sa profondeur. L’intrigue est prenante, fait revivre une époque marquée, en particulier, par l’irruption du sida. Les personnages ont une vraie épaisseur, des zones d’ombre, un mystère que l’on ne cherche pas à totalement éclaircir. Et on est emporté par une écriture dont la force d’évocation ne se dément jamais : elle donne bien à ce récit la puissance incantatoire d’une Légende.
La lecture de Légende m’a donné envie de découvrir les œuvres antérieures de Sylvain Prudhomme et c’est ainsi que je me suis lancé dans Là, avait dit Bahi. Aucune déception. Bien au contraire. Une longue phrase de presque 200 pages : le long discours de Bahi, un Algérien, au volant de son camion, qui raconte Malusci, un Français d’Algérie, et, en même temps, fait revivre la période sombre de la guerre d’Algérie, vue du côté de la population colonisée. Discours interrompu par les propos du narrateur dont on découvre peu à peu l’identité et les raisons pour lesquelles il est parti à la rencontre de Bahi. Ce qui est étonnant, c’est qu’on n’éprouve aucune lassitude, aucune difficulté à suivre cette si longue phrase. On se laisse emporter par ce souffle inépuisable et on découvre l’envers de l’Histoire : la guerre d’Algérie, bien sûr, mais aussi les années noires du terrorisme du GIA. Un texte vraiment essentiel à connaître d’urgence. Et qui ne dépare pas face à deux autres beaux romans récents qui parlent, aux aussi, de la guerre d’Algérie : Des Hommes de Laurent Mauvignier et Où j’ai laissé mon âme de Jérôme Ferrari.