La Vérité sur l’affaire Harry Quebert Joël Dicker

(Éditions De Fallois 2012)

Un bon livre, Marcus, est un livre que l’on regrette d’avoir terminé.

Difficile de parler sereinement de La Vérité sur l’affaire Harry Quebert. C’est probablement le Goncourt des lycéens qui a suscité tout à la fois le plus d’engouement chez les lycéens et le plus de polémiques diverses. Avant même la réunion du jury national tout était joué – ce qui est très rare – tant le roman était plébiscité par tous. La venue de Joël Dicker lors des rencontres nationales de Rennes s’est accompagnée de manifestations d’enthousiasme d’une ampleur considérable. Certes le lauréat est toujours très attendu, mais cette fois on a frôlé l’émeute lors de la séance de dédicace. Un accueil de rock star en somme pour un écrivain jeune, accessible et plutôt discret et réservé.

Et puis le roman couronné par les lycéens est devenu un best-seller au tirage exceptionnel : un million et demi d’exemplaires vendus pour la seule version originale, trois millions si l’on prend en compte l’ensemble des traductions. Succès qui ne s’épuise pas puisque l’on annonce pour bientôt une adaptation sous forme de série réalisée par Jean-Jacques Annaud avec Patrick Dempsey dans le rôle titre.
On comprend que cet emballement en ait irrité plus d’un. L’occasion aussi pour certains de s’en prendre à l’opération Goncourt des lycéens et l’on a pu lire des articles très défavorables au texte de Dicker ou tournant en dérision l’engouement des lycéens (mais surtout des lycéennes…) : le charme du jeune homme aurait pesé plus que la qualité littéraire de l’œuvre. Décidément confier la responsabilité de décerner un prix à des lycéens forcément immatures et évidemment dépourvus de toute culture n’a aucun sens. Faut-il vraiment chercher à répondre à des attaques aussi malveillantes ? Mieux vaut consacrer son énergie à faire vivre une opération qui a au moins le mérite de faire de la lecture une aventure collective dont le caractère éventuellement festif ne devrait déranger personne.

Quelques années après, essayons de faire la part des choses, en ne perdant pas de vue que les prix littéraires ne couronnent pas nécessairement des chefs-d’œuvre absolus qui sont appelés à passer à la postérité. Ils entrent plus modestement en résonance avec un moment particulier, des préoccupations qui sont celles d’une époque donnée. Et puis ils permettent de mettre la littérature sur le devant de la scène : qui s’en plaindra ?

 

La Vérité sur l’affaire Harry Quebert mêle étroitement deux intrigues : l’une concerne le double meurtre survenu en 1975, soit 33 ans avant l’année 2008 où l’affaire proprement dite éclate au grand jour, faisant du célèbre romancier Harry Quebert le coupable désigné, l’autre a trait aux difficultés rencontrées par Marcus Goldman, disciple et ami de Harry Quebert qui, après un premier roman à succès, se trouve confronté à une panne d’inspiration. Marcus, convaincu de l’innocence d’Harry, décide de mener l’enquête. Thriller, d’un côté, réflexion sur l’art du roman et plus largement l’écriture, d’un autre.

On ajoutera que l’action se situe sur la côte est des Etats-Unis, principalement dans la petite ville d’Aurora (New-Hampshire) où réside Harry Quebert et où a eu lieu le double meurtre. 2008, c’est aussi l’année du triomphe de Barack Obama aux primaires démocrates, l’approche des élections présidentielles constituant l’arrière-plan du roman.
Le texte présente la particularité de faire se succéder pour chaque chapitre (la numérotation des chapitres se faisant dans un ordre décroissant, soit de 31 à 1) un court passage étranger à la narration dans lequel Marcus et Harry échangent sur l’écriture et le récit proprement dit. Par ailleurs on joue constamment sur deux périodes : celle du meurtre (Harry a alors 34 ans) et celle qui correspond, après l’arrestation d’Harry, à l’enquête (Harry est, en 2008, âgé de 67 ans et Marcus de 30). Divers procédés permettant d’introduire les retours en arrière : en particulier les informations fournies par Harry à Marcus lors des visites de ce dernier à la prison. Mais Dicker s’autorise, en la matière, des insertions simplement introduites par une date. 

Les liens sont, bien sûr, très étroits entre les deux écrivains : en plus de l’aspect le plus évident (le maître et son disciple ; le père et son fils spirituel) on soulignera que l’un et l’autre doivent affronter la crise de la page blanche avant de connaître le succès et la reconnaissance et que Harry devient le principal personnage du roman qu’écrit sous nos yeux Marcus. On trouve, par ailleurs, au sein du texte, des extraits du roman (Les Origines du mal) qu’a écrit Harry en transposant sa liaison avec Nola.

Un thriller se doit de tenir son lecteur en haleine et Dicker a su bâtir une intrigue qui ne cesse de ménager les rebondissements. On croit toucher à la vérité et on s’aperçoit qu’on était finalement loin du compte. Et ce jusqu’aux dernières pages :

Lorsque vous arrivez en fin de livre, Marcus, offrez à votre lecteur un rebondissement de dernière minute.     – Pourquoi ?
– Pourquoi ? Mais parce qu’il faut garder le lecteur en haleine j. C’est comme quand vous jouez aux cartes : vous devez garder quelques atouts pour la fin.

Comme toujours on accepte ou non de se laisser prendre. On peut chercher la petite bête et estimer tel détail peu vraisemblable, repérer, au fil du texte, quelques contradictions mineures par rapport à ce qui a été dit précédemment. La mécanique policière n’en est pas moins diaboliquement montée et l’on est, comme cela est nécessaire dans ce type d’ouvrage, dans l’attente fébrile de la suite. Connaître le fin mot de l’histoire…

 Œuvre miroir, par ailleurs, puisque l’on suit aussi une aventure littéraire, l’élaboration progressive d’un roman qui se construit sous nos yeux. Celui qu’est en train d’écrire Marcus Goldman, mais aussi, en écho, deux autres ouvrages dont on percera finalement le mystère : Les Origines du mal et Les Mouettes d’Aurora, l’un et l’autre inspirés par la toute jeune Nola assassinée à quinze ans. Marcus se veut l’héritier de Harry dont il a suivi l’enseignement et les trente et un chapitres débutent justement par un conseil donné par le maître (des conseils pour les écrivains. Et pour les baxeurs. Et pour les hommes.). Trente et un comme l’âge qu’atteint Marcus à la fin. Des exigences d’ordre esthétique évidemment. Mais parallèlement on a aussi accès à ce qui a trait à l’économie du livre dans un univers capitaliste avec le personnage de l’éditeur qui n’est animé que par la recherche du profit et utilise, pour cela, tous les moyens, même les moins avouables.

On s’attache aux personnages qui ont le temps de prendre de l’épaisseur : tout d’abord le couple Harry / Marcus ; les enquêteurs et singulièrement le sergent Perry Gahalowood qui finit par devenir le compagnon de Marcus ; les personnages féminins Nola qui est au centre de l’intrigue et également Jenny. On n’oubliera pas la mère du héros narrateur que l’on découvre au travers d’échanges téléphonique hilarants.

Certes, le textes n’est pas exempt de quelques bavures : Dicker semble fâché avec la construction transitive directe de se rappeler ou confond triomphant et triomphal. Quelques expressions passe-partout (le charisme) ou à la mode peuvent indisposer le puriste. On aurait, en ce domaine, souhaité un travail de relecture plus exigeant. Mais ces bavures restent vénielles en face du plaisir que l’on prend à suivre l’intrigue.

 La Vérité sur l’affaire Harry Quebert doit être donc jugé à l’aune de la dynamique narrative par laquelle on est emporté. Le roman a eu le mérite de susciter l’enthousiasme de jeunes lecteurs pour des raisons qu’il serait regrettable de traiter par le mépris ou avec un regard condescendant. 

 

Commentaire écrit par Joël Lesueur