L’Île du lézard vert – Eduardo Manet

(Flammarion 1992)

Cuba est une île.

C’est ma prison.

L’île du lézard vert, c’est Cuba (cette île en forme de caïman, ce lézard vert endormi sur l’eau bleu). Cuba qui joue un rôle essentiel tout au long du roman. Chaleur moite, végétation exubérante, orages violents, tout concourt à créer un climat de sensualité frémissante, propice à tous les excès.

Nuit tellurique de l’été cubain où la nuit devient sanctuaire païen.

Une île prise entre la persistance des rituels archaïques (la santeria proche du vaudou évoquée dans la deuxième partie) et la montée des tensions sociales qui aboutiront une dizaine d’années plus tard (janvier 59) à la prise du pouvoir par Fidel Castro.

L’action est organisée en trois séquences distinctes (trois étés) : la première se situe en 1948, au moment où Chino, le héros et narrateur de ce roman à la première personne, fête ses 15 ans (ou 18 en raison d’une erreur sur son acte de naissance qui vient justifier la précocité de son parcours scolaire : bachelier à 15 ans…) ; la deuxième un an après, alors que se poursuit sa liaison avec Gipsie, celle qui l’initie à l’amour et qui est son aînée de plus de dix ans ; la troisième un an plus tard (donc en 1950), alors que s’est nouée une autre relation (avec Hanna, une pianiste un peu plus jeune, elle, que Chino). Cette construction particulière qui isole trois étapes et privilégie des moments de crise (la troisième partie s’étend ainsi de la tombée du jour à l’aube qui suit – celle du dimanche 5 août 1950, mais elle ménage des retours en arrière) permet de suivre avec davantage de relief et d’intensité l’évolution d’un personnage qui entre dans le monde adulte. Trois rencontres sont, dans cet apprentissage, décisives : celle de Lohengrin / Jacobo, l’ami un peu plus âgé, juif d’origine allemande dont le père a quitté Berlin pour fuir le génocide nazi, celle de Gipsie, la femme aux mœurs et à la sexualité libres et, enfin, celle de Manuel, le militant communiste.

Ces rencontres aident le héros à se détacher à la fois d’une vie familiale étouffante (une mère déséquilibrée et possessive et un père très largement absent) et d’un environnement spatial (l’île de Cuba) qui n’offre guère de perspectives. Cuba est une île. C’est ma prison.

Une œuvre ample, foisonnante, donc. Des personnages fortement caractérisés qui gravitent autour du narrateur et l’aident à se construire, au moment où il achève sa scolarité secondaire et commence ses études universitaires. Et puis, bien sûr, – le titre est là pour le souligner – l’évocation d’un pays dont l’importance géopolitique est évidente, surtout dès lors que l’action est située entre la fin de la deuxième guerre mondiale et la révolution castriste. Tout cela avait de quoi susciter la curiosité des lycéens qui ont choisi ce roman.

Commentaire écrit par Joël Lesueur