Belle Mère – Claude Pujade-Renaud 

(Actes Sud 1994)

Avant d’aller se coucher elle met la radio,

Paris est libérée. Tout émue Eudoxie.

Pour la première fois, Lucien a accepté qu’elle le touche.

Belle Mère ? Belle-mère ? L’absence du trait d’union dans le titre de cet étrange roman en dit beaucoup sur le sens à donner à l’œuvre. Et sur la relation troublante qui s’instaure peu à peu entre Eudoxie et son beau-fils Lucien. Lucien qui d’abord rejette cette intruse introduite par un père auquel il reproche d’avoir maltraité sa mère dont il est veuf.

L’histoire s’étend sur une cinquantaine d’années, de 1935 jusqu’aux années quatre-vingt. On traverse ainsi la seconde guerre mondiale : l’exode puis l’occupation et le libération, les événements de mai 1968, l’élection de François Mitterrand. Lucien est, certes, un peu fou, mais, finalement, c’est l’homme de la vie d’Eudoxie, puisque ses deux mariages successifs sont restés stériles et l’ont, à chaque fois, laissée veuve plus ou moins rapidement.

On suit le point de vue d’Eudoxie, un point de vue régulièrement interrompu, cependant, par de brèves échappées, notées en caractères italiques, sur des commentaires de Lucien, des commentaires teintés de cette douce folie qui le caractérise.

Des pages pleines de tendresse et d’émotion où l’on croise bien des personnages attachants.

On dit parfois que les bons sentiments font de la mauvaise littérature. Claude Pujade-Renaud fait ici la démonstration que ce n’est pas toujours le cas et il y a quelque chose de profondément bouleversant dans ce double destin aux couleurs mélancoliques. La langue, d’une grande force, épouse les singularités d’un personnage auquel on ne peut que s’attacher. Les phrases sont le plus souvent courtes, parfois dépourvues de verbe, pour se tenir au plus proche des perceptions et émotions de l’héroïne. Aucune mièvrerie, aucune complaisance, mais la sobre restitution d’un univers finalement sans grand relief. Tout est, par ailleurs, rédigé au présent – ce  qui donne une intensité toute particulière au récit : le lecteur se sent directement impliqué, partie prenante des événements racontés et la palette des registres mobilisés est très large, la dimension d’humour ayant même une place significative (le cactus offert par Lucien à sa belle-mère, par exemple).

Un Goncourt des lycéens donc à bien des égards inattendu. On ne peut que se féliciter que les jurés de cette année-là aient perçu la force d’un récit plein de rebondissements, certes, mais surtout fondé sur des ressorts d’ordre psychologique. Le redécouvrir aujourd’hui en vaut vraiment la peine.

Commentaire écrit par Joël Lesueur