Canines – Anne Wiazemski

(Gallimard 1993)

Dans le clair obscur du théâtre les comédiens ressemblaient à des naufragés,

à des compagnons du hasard unis pour le meilleur et pour le pire et qui tenteraient en commun de survivre.

Alexandra aime Adrien qui, malheureusement, n’est pas libre et s’apprête à rejoindre femme et enfants au Japon. Loin de Paris où elle vit et où se déroule la première partie du roman. Une première partie où l’on suit les répétitions de la pièce de Kleist Penthésilée, mise en scène par un étrange personnage, Jean Lucerne : homme de théâtre génial, mais aussi ancien amant d’Alexandra et désireux de renouer la relation interrompue.

Le texte est fait de ces allers et retours entre travail théâtral et vie sentimentale au sein d’une communauté constituée de ceux qui concourent à la préparation du spectacle : metteur en scène, assistant, techniciens, comédiens… La violence de la pièce qui confronte l’Amazone Penthésilée et le héros grec Achille dont elle est tombée amoureuse trouve des prolongements, des contrepoints dans les liens troubles qui existent entre Lucerne, Alexandra, Alma (choisie pour incarner Penthésilée) et quelques autres. Pièce canine a dit Kleist, à propos de son œuvre ne serait-ce que parce que les chiens de Penthésilée vont déchirer le corps d’Achille, avant que Penthésilée elle-même ne meure. On se déchire donc, au propre comme au figuré au sein de la troupe. Amour, haine, jalousie se donnent libre cours sur la scène comme dans la vie des personnages.

La plume de la comédienne Anne Wiazemsky (elle-même petite-fille de François Mauriac et épouse pendant quelques années de Jean-Luc Godard) nous fait pénétrer dans l’arrière-boutique d’une création théâtrale. Jusqu’à la première représentation dans le cadre du festival d’Avignon (transposition moderne de la bataille d’Hernani), Avignon servant de décor à la deuxième partie du roman. Le point de vue donné par Alexandra, actrice débutante qui se découvre peu à peu elle-même et devient, au terme d’un parcours semé d’embûches, une véritable comédienne, animée par une vraie passion pour son art fait de ce roman à l’intrigue fiévreuse une véritable célébration de l’univers du théâtre. Un univers à la fois effrayant et fascinant, destructeur et lumineux.

Anne Wiazemski, disparue récemment, a donc signé un roman nourri de son expérience personnelle. Le jury lycéen a su reconnaître la sincérité du propos et été sensible à cette réflexion sur les ambiguïtés de la relation entre vie réelle et représentation. Le lecteur entre dans l’intimité d’une création théâtrale.

Commentaire écrit par Joël Lesueur