Un Secret – Philippe Grimbert  

(Grasset 2004)

Fils unique, j’ai longtemps eu un frère.

Il fallait me croire sur parole quand je servais cette fable à mes relations de vacances, à mes amis de passage.

J’avais un frère.

Plus beau, plus fort.

Un frère aîné, glorieux, invisible.

Quand l’écriture a  valeur d’analyse…
Fils unique, j’ai longtemps eu un frère, ainsi commence le roman de Philippe Grimbert. D’une façon pour le moins déroutante. Mais, d’une certaine manière, l’essentiel est déjà dit. Il faudra un peu de temps pour le comprendre et il serait dommage de déflorer une intrigue faite de rebondissements successifs. Rebondissements liés aux limites de la connaissance des événements qu’a le narrateur dans un récit à la première personne.

On comprend très vite que ce frère n’est qu’une création de l’imagination du héros. Complexé par sa faible constitution (complexe accentué par le fait que ses deux parents sont des athlètes accomplis et ont fait de la beauté du corps un véritable art de vivre, le père surtout), il s’est inventé un aîné doté de toutes les qualités qu’il n’a pas. Processus finalement assez banal de compensation. La suite se chargera de montrer qu’en l’espèce, les choses ne sont pas aussi simples.

Roman autobiographique, Un Secret est indissociable de la personnalité même de son auteur. Philippe Grimbert est né en 1948 et le narrateur héros a vu le jour quelques années après la Seconde Guerre mondiale. On apprend aussi que celui-ci a découvert la psychanalyse à la fin de ses études secondaires et que cette découverte a déterminé son choix en faculté. Un lien étroit est donc établi et on est en droit de considérer que tous les événements rapportés correspondent à ce qui a été réellement vécu. D’autant que, si le prénom Philippe est le seul qui ne soit jamais précisé au sein du texte, le nom de famille, lui, est bien présent à travers plusieurs occurrences grâce auxquelles on s’aperçoit qu’il est la francisation du Grinberg originel :

Un « m » pour un « n », un « t » pour un « g », deux infimes modifications. Mais « aime » avait recouvert « haine », dépossédé du « j’ai » j’obéissais désormais à l’impératif du « tais ».

Passage très lacanien qui en dit beaucoup sur le projet d’écriture ici mis en place.
Pour autant, le discours autobiographique a, habituellement, vocation à rendre compte de ce que le narrateur personnage a directement et personnellement connu. Ici c’est bien la question des origines qui est interrogée, de ce qui précède la naissance. De ce que, justement, celui qui parle ne peut avoir directement connaissance. Comment avoir accès à ce passé constitutif de ce présent auquel il est confronté ? Sinon par des récits…

L’écrivain d’aujourd’hui s’attache donc à l’enfant qu‘il a été, un enfant qui porte inévitablement un héritage familial dont il ignore tout. Ce sont ces différents plans que Philippe Grimbert, devenu psychanalyste, donne à voir. L’écriture se fait dévoilement et prend valeur d’analyse. Tout est vrai, serait-on tenté de dire, mais l’essentiel n’a pu être que reconstruit dans une démarche, elle, proprement littéraire. C’est finalement cette tension qui donne au texte son originalité. Et l’effacement du je est paradoxalement la condition pour atteindre à la vérité la plus intime, la plus secrète.

Commentaire écrit par Joël Lesueur